Association Marocaine des Droits Humains - AMDH -

            Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de la Justice

                                                     23 octobre 2000



 

Objet : Dossier relatif aux disparitions
 

L'Association Marocaine des Droits Humains a l'honneur de vous informer qu'elle envisage d'organiser un sit in le 27 octobre 2000 à partir de 11 heures du matin devant le siège du Ministère de la Justice à Rabat et devant les cours d'appel de Casablanca, Tanger, Agadir, Ouarzazate, Oujda, Meknès et Marrakech et ce en commémoration de la journée du disparu qui correspond au 35 ème anniversaire de la disparition et de l'assassinat du martyr Mehdi BENBARKA le 25 octobre 1965.

Cette manifestation aura lieu sous le slogan : "Nous demandons la vérité et la poursuite des responsables des disparitions".

Cette action s'inscrit dans la continuité de la lutte de l'Association pour un traitement global et équitable des dossiers de la répression politique, en particulier ceux relatifs à la disparition et l'emprisonnement arbitraire. Elle vise aussi à préciser à l'opinion publique et aux responsables ce qui suit : La disparition est la forme la plus terrifiante de répression et de menace contre les citoyens et les citoyennes dans leur vie, leur liberté, leur sécurité physique, leurs convictions personnelles et leur stabilité familiale. Les conséquences de la disparition ne touchent pas seulement les victimes disparues ou leurs familles mais portent atteinte à toute la société.

Pour cela, le code pénal marocain a qualifié cet acte de crime dans les articles 436 à 439 et les articles 392 et 393. La peine prévue pour les auteurs et responsables de ce crime varie de 5 ans à la peine capitale. Les conventions internationales relatives aux droits humains ont donné une importance primordiale à ce phénomène à cause de sa gravité. Ainsi en est-il de la déclaration universelle des droits de l'homme (articles 9 et 10) et du pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 6, 7, 9 et 10). La déclaration des Nations Unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l'Assemblée Générale le 18 décembre 1992, a insisté sur le caractère outrageant de cet acte criminel qui ne peut être justifié en aucun cas que ce soit en période de paix ou de guerre. Cette déclaration prévoit aussi la nécessité de juger et de sanctionner tous les responsables des disparitions et d'indemniser les victimes et leurs ayant droits.

L'Etat marocain, suite à la pression du mouvement des droits humains et des forces démocratiques, à l'intérieur et à l'extérieur, a accepté de régler le dossier de certaines personnes civiles ou militaires libérées, victimes de disparitions forcées, après avoir nié leur existence. Pour cela, l'Etat a chargé le conseil consultatif des droits de l'homme qui a continué à maintenir la confusion en arrêtant une liste de 112 cas de disparitions au moment où l'Association Marocaine des droits humains ainsi que d'autres organisations au Maroc et à l'extérieur déclarent l'existence de plusieurs centaines de cas. A cela s'ajoute la note publiée par ce conseil le 13 avril 1999 dans laquelle il a incriminé les victimes de disparitions et a demandé l'amnistie des tortionnaires.

Le règlement de ce dossier demeure entre les mains de la commission arbitrale créée, qui a un caractère inconstitutionnelle et illégal. Cette commission a tranché, après un an, pour 68 dossiers sur un total de 5879 dossiers déposés. Les décisions prises ne sont basées nullement sur les critères admis au niveau international en la matière. Ce dossier ne peut être réglé globalement et équitablement qu'en faisant participer les instances concernées, les victimes et leurs familles, à travers une instance indépendante chargée de l'instruction de ce dossier.

Par ailleurs, le Ministère de la Justice, pendant les phases de répression politique caractérisées par l'emprisonnement arbitraire, la disparition et la torture (.), n'a jamais, à ce jour, assumé ses responsabilités bien que le Ministre de la Justice soit considéré comme étant le Président du Ministère Public. Ce dernier n'a jamais entamé une instruction pénale quant aux disparitions bien que l'Association marocaine des droits humains ait adressé une note au Ministre de la Justice qui lui a été remise à l'occasion d'une rencontre le 3/8/1982. Cette note comprenait la liste des noms disponibles des personnes civiles et militaires disparues.

L'Association avait aussi demandé le 21/2/1991 et le 5/4/1991 au Ministre de la Justice, en tant qu'autorité légale supérieure du Ministère Public, dans le cadre de l'article 48 du code de procédure pénale, de provoquer une enquête sur la prison secrète de Tazmamart pour mettre en évidence l'existence de lieux de détention arbitraire et de prévoir les conséquences juridiques de cette enquête.

Après la libération des militaires disparus, enfermés à Tazmamart, sortis vivants, l'Association a demandé, le 17/12/1991, par l'intermédiaire de sa défense, au Ministère Public de la Cour d'Appel de Kénitra de mener une instruction auprès des victimes libérées pour connaître les circonstances et les lieux de leur disparition, leur état de santé, les traces de torture, et le sort de leurs compagnons non libérés avec ce que cela implique comme conséquences juridiques. Toutes ces demandes sont restées sans réponse.

Plus grave encore est le fait qu'un certain nombre de responsables impliqués dans les crimes de disparition forcée, de détention arbitraire et de torture, cités à travers plusieurs témoignages, continuent pour la plupart d'exercer des fonctions officielles. Cette situation constitue de fait une insulte et une provocation portant atteinte aux sentiments du peuple marocain. Parmi ces responsables, auteurs et complices des crimes de disparitions, d'emprisonnements arbitraires et de tortures, les noms des personnes suivantes sont tout à fait connus :

Hosni BENSLIMANE, Hamidou LAANIGRI, Yousfi Kadour, Mohamed Archane, Driss BASRI, Hamiani Abdelmalek, Boubker Lahsouni, Miloud Tounsi, Abdehak Achachi, le colonel Tamsamani, le commandant Abdelaziz Benouna, Ibourk Miloud, le colonel Zerhouni, Taieb Habi (..)

L'Association marocaine des droits humains organise ce sit in dans le cadre de ses luttes continues depuis sa création en 1979 pour : La vérité entière sur ces crimes ; La libération des disparus encore vivants ; La remise des dépouilles des victimes à leurs familles ; La déclaration officielle : quant aux responsables de ces crimes commis à l'encontre du peuple marocain depuis la fin des années cinquante ; quant aux lieux et aux causes de disparitions ; La poursuite judiciaire des responsables de ces crimes ; L'indemnisation morale et matérielle des victimes et des ayant droits.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de notre haute considération.